Go Jhonygo !

Rencontre dans le 19ème avec un pionnier du rap français, aux influences rock. Il nous raconte sa vie, des Blacks Panthers à Paris, en passant par Manaus au Brésil, et Détroit aux USA…

Tu as commencé par le rock ?

Oui, en 1980/82 on rentrait dans les Blacks Panthers avec Destroy (qui est rentré un peu avant moi vers 14/15 ans, moi j’avais 17 ans). Un jour, Destroy m’a dit qu’il y avait un petit groupe qui s’appelait « J’ai mal à ma tête » à Montparnasse. Du coup on allait là-bas, et on répétait du rock. Il n’y avait pas de rap. Pour nous, c’était le truc.

Destroy, c’était Max. Le groupe, là-bas, il disait « Ouais, Max il ne vient pas beaucoup, alors comme toi tu viens chanter souvent, on va aller chanter dans un truc à Neuilly-sur-Marne ». Une fois là-bas, on balançait des bières (il y avait un grillage comme dans « Les Blues Brothers », les mecs balançaient des bières si ça ne leur plaisait pas… on était en plein dans le film), et on chantait des trucs comme ça. Un jour Destroy est revenu chanter, et il nous a dit « Hey, vous avez chanté sans moi, mais j’ai écrit une chanson en attendant ». On avait ce côté un peu précoce. A l’école j’écrivais déjà des poèmes, Destroy aussi il en faisait, et on a eu un déclic. A force de chanter on a écrit des chansons. Mais c’était des chansons drôles, des trucs de gamins qui tournaient bien.

A cette époque on allait souvent danser au Rex, et une fois Destroy a dit « On va chanter là-bas ». Ça devait se faire, mais il y a eu un problème la semaine précédente, à cause d’une altercation, le videur s’est pris un coup de couteau et ça a été annulé.

Un soir, en 1982, ils ont passé une émission sur New York à la télévision. C’était Malcom McLaren qui montrait « The Rock Steady Crew ». On n’avait jamais vu ça. Un gars s’est mis à rapper, c’était Grandmaster Caz. J’ai dit « Tu as vu comment il parle, comme les gens dans le Rock&Roll ». Tout ça existait déjà en fait. Les mecs qui breakaient. J’ai compris ça seulement 20 ans après, en achetant un disque de blues de Tampa Red, dans lequel le mec fait du beatbox. Il fait tous les instruments à la voix et un autre rappe sur le même disque. En écoutant je me suis rendu compte que c’était déjà du rap. Le premier album de 1936, tu l’écoutes, tu tombes par terre… C’est du rap! Je crois que c’est “Hit It“ la chanson. Tampa Red écrivait aussi pour les autres, et il faisait également les arrangements pour d’autres. Chuck Berry, pareil dans “Jaguar And Thunderbird“, ou dans “Little Queenie“. Déjà on voyait le courant de pensée de la rue. Quand tu vois Jay-Z ou Booba qui font les ducs, c’est parce qu’un duc c’est un macro. Il sourit tout le temps parce qu’il a de l’argent. Il dit toujours oui parce qu’il a de la monnaie.

Il y a aussi Bessie Smith qui donne vraiment le courant de l’écriture. Elle avait vraiment un talent. Elle a une chanson dans laquelle elle dit : « No body know you, when you’re down and out! » (Je suis sortie avec un millionnaire, il me donnait tout…).

Le rap est classé dans le rhythm’n’blues. Ils différencient le chant d’église et le chant de la ville. Les chanteurs t’écrivent 100 morceaux à l’année! Yellowman par exemple avec “Opération Radication“. Il y a aussi Gregory Isaacs qui a fait environ 7 albums la même année. Il a écrit “Night Nurse“ à un moment où il écrivait un morceau par jour. Si un gars s’enferme, et est dans l’ambiance, il fait un morceau rapidement. Regarde Oasis, ils ont enchainé leurs albums vite fait.

En revanche, il faut être sérieux. C’est comme Eminem par exemple, pourquoi il en est là ? Eminem c’est le top, il est même devant Jay-Z en débit de paroles. Il écrit lui-même et produit aussi. Il travaille comme les Jamaïcains. Il a compris le truc. Il était dans la misère et après il a compris sa chance, et il l’a saisi (il s’est bien entouré aussi avec Dr. Dre…). Les autres ont eu leur chance, mais après ils s’endorment…

En France ce n’est pas pareil. JoeyStarr je l’ai un peu côtoyé, il y avait une chanson que les maisons de disques ne voulaient pas sortir, qui s’appelait “Appelle La Police“, elle lui plaisait bien je pense… Par contre Kool Shen, c’est une écriture. C’est très rare ça. Un gars qui écrit comme ça, qui progresse à chaque texte, et on le reconnait. “Ma Rime“, le morceau, est patate! Dès le début il a ça. Il a la plume comme il dit. Il l’a, il n’y a rien à dire.

Quels sont tes projets actuels ?

Dans ma famille, c’est musique et mécanique. Je conduis la dépanneuse, et j’ai ouvert un studio il y a 15 ans. Dans celui-ci j’ai emmagasiné une cinquantaine de morceaux. Dernièrement je me suis demandé pourquoi on n’a pas mis ces chansons sur YouTube par exemple ? Et c’est parce qu’à chaque fois je me disais : « Je vais faire celui-là, c’est celui-là qu’il faut faire, et entre temps (un an, deux ans passent) j’enchaîne les morceaux, et rien ne sort ». Par contre, parfois je fais des petites scènes, je balance quelques-uns de ces morceaux, et je vois que ça accroche, ça plaît. En ce moment je rappe sur des musiques antillaises, Compas et autre…

Crédit photo : Sonia Blin

Le phrasé du Rap et du Raggamuffin sont liés ?

C’est la suite du rhythm’n’blues tout ça. En fait ça vient des Jamaïcains qui habitaient New York. Un jour, au lieu de faire leur truc sur le Reggae, quelqu’un l’a fait sur de la Funk. Ça n’a pas été plus loin, et ça devait se dérouler pendant que Kool Herc faisait ses Block Party, avec des bandes de Jamaïcains qui y venaient (Kool Herc est Jamaïcain). Il voulait faire un truc qui ressemblait à ce qui se faisait sur son île, le sound system. Il appelait ça le Massive. Il voulait faire ça dans New York, à la Jamaïcaine. Il faisait ça dans les maisons abandonnées du Bronx.

Détroit a eu un grand rôle dans la construction de cette musique. J’y ai habité pas mal de temps (fin 90, début 2000), et j’ai remarqué des petits trucs là-bas. Déjà, presque tout le monde fait de la musique, j’étais chez des amis, et ils faisaient tous de la musique. Il y avait beaucoup de Jamaïcains dans la ville, et les filles qui dansaient en clubs, je n’avais jamais vu ça, c’était chaud… (rires). C’était compétition entre filles. Ça a toujours dû être comme ça, même à l’époque du blues…Les Jamaïcains dansent le Hip-Hop (et le Reggae), comme nous on danse le Zouk aux Antilles, ils sont collés.

Aux USA, quand les mecs viennent et font du break ou du smurf, les mecs montrent ce qu’ils savent faire pour la fête, pas pour la compétition. Mais attention, c’est du haut niveau! C’est rare de les voir danser en boîte, quand les gens montrent leurs pas en boîte, ils sont payés, il n’y a pas trop d’improvisation. Tu ne vas pas voir les gars venir se défier en soirée, le videur va virer l’autre groupe, celui qui n’est pas payé par l’établissement. Peut-être seulement sur New York tu peux voir ça…

Aux États-Unis, quand quelqu’un a un talent et qu’il est repéré (par des producteurs, ou autre), ils l’exploitent pour qu’il évite de perdre son temps (ou la vie) dans la rue.

En France, vers 1987/88, j’allais aux Bains Douches. Il y avait Kurtis Blow, Whodini par exemple qui venaient là-bas. Il y avait un gars qui m’avait un peu surpris, il s’appelait Mr. Freeze. C’était un smurfeur. Il parlait souvent avec nous, mais il ne montrait pas beaucoup ses phases. Comme il nous connaissait bien, de temps en temps, il nous montrait quelques trucs, mais derrière lui, il y avait toujours son agent qui surveillait. Un jour dans la boîte il dansait, il était payé pour ça, et quand il s’est mis à danser, attention, il y avait du niveau. Ce qu’il faisait était bien réfléchi, il n’y avait pas que 3 pas, il mettait l’ambiance, et emmenait le public. Il savait même prendre le micro! Mais il était payé pour faire tout ça.

En France, les gens ne voient pas le truc du business qu’il y a derrière. Aux USA, il y a toujours l’agent derrière l’artiste, ce n’est pas la même façon de penser.

Beaucoup d’artistes en France se sont refusés à parler d’argent et rentrer dans le business ?

Moi j’étais surtout avec Francis Kertekian. Il me montrait comment faire le business. Quand on allait chez Barclay, il me disait « Je vais te signer là », il me signait là. Ensuite il a voulu me mettre chez Polygram, mais je n’ai pas voulu. Je n’ai pas souhaité aller dans un autre label. Ça peut paraître bizarre ma philosophie à cette époque, mais je me disais que le gars derrière le bureau, à l’école, quand je le voyais je lui prenais ses billes. Et maintenant il me dit qu’il va faire quelque chose pour moi, mais en me faisant écouter la musique d’un autre. J’ai vu tout de suite qu’il jouait avec ma tête. Ça faisait un mois que je le rencontrais, et quand je commençais à monter un peu le ton, il voulait ressortir un vieux truc que j’avais fait 4 ou 5 ans auparavant, alors que j’étais ailleurs. Comment je pouvais progresser ? Donc j’ai dit « Gardez vos maisons de disques, j’ai autre chose à faire! ». Je prends la dépanneuse, je fais ma musique dedans. La chanson « Un Jour De Plus », je l’ai écrite dans la dépanneuse.

A un moment donné, je ne voulais même plus entendre parler du rap. Je suis parti, j’ai repris l’école, et je suis allé à Jussieu où j’ai obtenu un bac+2. A Jussieu, j’ai redécouvert l’école.

Je suis aussi allé dans un centre de formation passer un diplôme de conducteur d’engins. Je ne l’ai jamais utilisé car quand je suis allé voir la famille Poclain (entreprise de fabrication de matériel pour les travaux public) à ma sortie de formation, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me confier un engin à plusieurs millions. J’ai dit que j’avais un diplôme, que je savais conduire ces engins, et ils m’ont répondu : « Va en Amazonie, et après reviens en France ».

Donc je suis arrivé en Amazonie, dans une ville qui s’appelle Manaus, au Brésil. Je me suis dit en arrivant que j’allais mourir ici! Ils nous envoyaient construire l’autoroute dans la jungle, avec les indiens et les flics qui voulaient nous tuer. Les indiens, je comprenais encore, ils ne voulaient pas toucher la terre des ancêtres. Pendant un an j’ai vécu au milieu des pirates, avec des mecs tatoués qui venaient du Suriname, du Guatemala, et du Nicaragua. Que des bandits, c’était chaud. Là-bas la jungle est belle, oui, mais si tu tombes sur le jaguar, t’es foutu. Le jaguar c’est comme une lionne, il nous déchire tous. J’en ai vu un bondir une fois au loin, j’ai dit « Je ne mets même pas les pieds là-bas, ferme les portes, je reste dans l’engin! ».

C’était qu’une année, mais là-bas, quand on te dit que tu es un homme très tôt, tu le vois vite. A 13 ans c’est déjà des bonhommes, qui meurent à la trentaine. C’est la vie de la jungle. C’est peut-être différent maintenant, tout ça c’était au milieu des années 80.

Après ça, un jour j’ai regardé un gars, dans sa vie, Bernard Lavilliers. J’ai vu qu’il avait été au Brésil aussi. J’ai compris alors pourquoi quand je voyais ce gars chez Barclay, il restait un peu calme, sur le côté. En fait lui aussi il a connu tout ça. Lui il était camionneur au Brésil, moi j’étais conducteur d’engins. Ce qui n’est pas loin, mais lui il a fait la route, et sur la route tu rencontres toute sortes de choses.

Je suis parti du Brésil car je commençais à mal tourner. Tu sais, quand tu viens d’un milieu à Paris, tu vas débarquer là-bas, et tu vas traîner avec les mêmes gars, voilà. Et les petits entrepôts que vous alliez faire à Paris, c’est autre chose là-bas, ça peut même mal tourner. Je ne pouvais pas rester là-dedans. Ce que tu fais ici entre amis, style fleur bleue et déconnade, là-bas avec l’alcool et le rhum ça peut vite dégénérer. Les relations ne sont plus les mêmes, tu changes ta façon de parler, tout change. Après des gens me disent « C’est sa façon de parler qui est comme ça », mais ils ne savent pas par où tu es passé en fait.

Crédit photo : Sonia Blin

Pourquoi le nom Jhonygo ?

Ça vient de l’époque où on chantait avec Destroy. Moi j’aimais bien les chansons de Chuck Berry. A chaque fois que Zincou (un gars des Blacks Panthers à église de Pantin) me voyait, il faisait « Go! Johnny Go! », parce que parfois je chantais la chanson avec une guitare. J’ai dit « Ouais c’est pas mal ça, je vais garder ça! ». Zincou, c’est bizarre, ce gars, à chaque fois que je l’ai écouté ça m’a fait faire un pas dans le rap! Un jour je l’ai vu, j’ai passé le permis, une autre fois j’ai écrit deux chansons sur là où on était. Et la dernière fois, c’était quand j’ai écrit « Église ». C’est une chanson sur l’église de Pantin ou on habitait. C’est pas mal comme petit morceau.

Jhonygo c’est en un seul mot ?

Oui, en un seul mot, mais avec un seul « n », et avec un « h », car après je faisais des jeux de mots avec. Par exemple « Jeune Homme Organisé Noir aux Yeux Grands Ouverts » pour donner du sens, mais en vérité ça vient de Chuck Berry, on a un peu les mêmes passés, les mêmes trucs.

Ta rencontre avec Destroy Man ?

On était dans la même bande (les Blacks Panthers), formée par Jimmy pour se protéger, car il y avait des histoires à la sortie du Golf-Drouot. Des histoires comme quoi le rock c’était que pour les blancs. Devant le Golf même, il y avait trop de noirs, ils ne pouvaient pas les attaquer. Mais quand ils étaient seuls dans le train, certains prenaient des raclées, 4 ou 5 mecs leur tombaient dessus et les tapaient. Donc cette bande c’était pour se protéger, et faire reculer le racisme qu’il y avait à l’époque dans le rock. Ce n’était pas un gang, mais plutôt une bande d’amis.

Ils avaient créé ça vers 1980. Moi je suis arrivé là-dedans en 82/83. Peut-être un peu avant (1979), car quand je suis arrivé, le Golf-Drouot était en train de fermer (1981). J’y suis allé 2 ou 3 fois, mais Henri Leproux ne me laissait pas rentrer, j’avais 14 ans et il en fallait 16 pour entrer. Je faisais déjà 1 mètre 75, et j’essayais de baratiner, mais il avait l’œil. Je lui disais que j’avais 16 ans, mais il me répondait « Non, tu as 14 ans, fais voir tes papiers ». Du coup, le Golf je l’ai toujours vu de loin. Une seule fois j’ai réussi à rentrer, mais je ne suis même pas resté une heure. J’ai vu les escaliers, l’entrée, la salle et hop j’ai été viré. Quelques temps après il a fermé, on est allés ailleurs, et j’ai oublié le Golf, le temple du Rock&Roll.

Baffalo ça vient des Blacks Panthers ?

Baffalo, ça vient de l’église de Pantin, ce sont des noms que se donnaient les Black Panthers entre eux. Je parle de tout ça (les Blacks Panthers, Baffalo, etc…) dans le morceau « Église ». J’aimerais bien que ce soit Jacques qui produise cette chanson, parce que ça doit être comme ça, c’est lui le grand.

Tu as écrit pour d’autres artistes ?

J’ai écrit pour des gens qui ont gagné des prix, comme par exemple « Les Victoires de la musique ». J’ai écrit aussi pour un gars qui s’appelait Henri Dès. C’est le Dorothée Suisse des enfants, et il voulait du rap dans un album, donc j’ai mis une chanson, et ça a marché. J’ai fait pleins de trucs comme ça, à droite à gauche. On ne sait pas que c’est moi, mais si tu regardes et que tu vois marqué Pierre Letin, c’est moi.

Quel est la raison de la séparation avec Destroy Man ?

Jacques n’aimait pas trop quand je parlais à Destroy Man, et j’ai pris conscience avec le temps qu’il n’avait pas tort. Si je ne suis plus avec Destroy, c’est que nos idées divergeaient vraiment en musique. Il avait tendance à prendre un peu trop vite la parole, et parler pour moi.

A la base Destroy et moi on voulait être des Panthers. On voulait tout faire pour rentrer. On était petits, on voyait les grands, et on voulait tout faire pour être comme eux. Après, les Panthers nous ont expliqué que « la rue c’est la rue, mais quand tu es avec nous tu oublies un peu la rue, et tu marches comme nous. Donc pas d’agressions, pas de vols, tu marches droit. Si tu as besoin d’argent, tu vas travailler ». Ça n’a l’air de rien comme ça, mais cette bande m’a évité bien des mauvais chemins.

La musique et la rue, c’est très lié. Quand on dit ghetto dans les raps, ce n’est pas juste un endroit où on parque les gens. C’est aussi tous ces trucs de la rue, les braquages, les entrepôts, les petits délires la nuit. C’est aussi les gars qui parlent en bas de l’immeuble. Aujourd’hui ils sont en train de dealer du shit en bas de l’immeuble, mais avant ils préparaient leurs coups au même endroit. Les mêmes endroits, les mêmes choses recommencent.

Quel est ta définition d’un bon MC ?

Je ne sais pas si je peux classer quelqu’un de bon MC ou pas. Par contre si quelqu’un fait une chanson qui fait vibrer les gens, c’est un bon. Si il ne te fait pas danser, il faut qu’il lâche le micro. N’importe qui peut être bon ou mauvais, mais si tu prends le micro aujourd’hui, tu dois faire bouger les gens.

Ton rapport avec les autres éléments, par exemple le DJ ?

C’est très important. Le DJ c’est celui qui fait souvent les sons. Moi j’ai eu l’occasion d’être les deux, j’ai fait aussi bien DJ que MC. C’est le tempo qui fait tout. Il faut bien souvent écouter le DJ quand il a une idée de son pour un rappeur.

Quand il sélectionne des sons, et qu’il a un rappeur qui ne sait pas trop quoi faire. Si le DJ a une idée, bien souvent il faut écouter l’idée. Les deux vont ensemble, il ne suffit pas d’avoir un texte intéressant, il faut que le musique swing derrière.

A chaque fois, tous les rappeurs à un moment, ils ont le son. Soit c’est le DJ qui va l’amener, soit il va passer quelque part et il va entendre quelque chose, soit c’est un ami qui va lui parler d’un truc, mais il va l’avoir le son. C’est à lui de le saisir. S’il ne tend pas l’oreille autour de lui, il n’aura rien. Donc le truc c’est de ne pas parler trop vite et d’écouter l’autre. Et si le DJ vient et t’amène un truc, faut l’écouter d’abord. Si le son est bon, il va te donner une idée. D’ailleurs on voit que Rakim, la force qu’il a dans le rap lui vient d’Eric B. Il lui a mit un son avec un truc oriental, ce que personne ne faisait à l’époque. Quand Rakim est revenu en 2000 avec lui, il lui a mit un son qui ressemblait à ce qu’il faisait, il pouvait être à l’aise, et continué de progresser.

C’est comme Henri Salvador. Quand Boris Vian écrivait pour lui, c’était pas mal, il avait des bons enchaînements. Vian et Salvador, ça allait ensemble.

Boris Vian, il avait une écriture, j’aimais bien son truc avec Magali Noël, la chanson « Fais-moi Mal Johnny », que j’ai repris d’ailleurs. J’étais obligé de la reprendre, j’ai écrit des paroles, c’est hardcore tout le morceau, on s’amuse aussi.

Crédit photo : Sonia Blin

Un mot sur les free jam du terrain vague ?

C’était un truc inattendu, c’est peut-être pour ça qu’il y avait un bon feeling. Bando et Boxer avaient l’habitude d’aller dans cet endroit. Un jour Bando m’a dit « Passe à la maison ». Quand je suis arrivé, il m’a emmené au terrain de la Chapelle. Là-bas, on a monté le mur, et j’ai vu JayOne avec les BBC, des gars avec qui je m’entends toujours bien aujourd’hui, car c’est comme des frères. On a une façon de penser Hip-Hop qui est la même, et qui est restée.

Je crois que le premier jour j’ai vu aussi Mode 2. Un petit renoi avec ses lunettes. Il a un peu le style à Bando, mais en noir. Je ne sais pas lequel a copié sur l’autre (rires)

Donc j’arrive là-bas, je vois le terrain vague, et il était vraiment vague, avec des hautes herbes. C’était que du graffiti à ce moment-là. Tikaret était pas loin, et souvent on y mangeait un sandwich, on parlait avec les gars, et comme on n’avait rien à faire, on allait au terrain vague à côté. On y allait souvent. On pouvait parler comme on voulait.

Dee Nasty était déjà venu faire un énorme graffiti. Il revenait au terrain vague pour graffiter un peu quand il n’avait rien à faire. Un jour il a eu l’idée de mettre un peu d’ambiance. Il a dit « Je vais ramener mes platines ». Moi j’ai cru qu’il avait dit ça comme ça. Un jour je reviens, et je le vois arriver avec un groupe électrogène. Il prend son scooter, et il me dit en s’en allant « Surveille le groupe, je reviens ». Je n’avais pas encore compris ce qu’il voulait faire avec ça. Je pensais qu’il voulait faire un barbecue, ou un truc comme ça, je n’avais pas capté. Et il revient avec son scooter et ses platines. Il pose un trépied, et il met le truc en marche. Il met la musique, il est là, et la nuit descend. Il fait très beau, il n’y a pas une goutte de pluie, et il dit « Bon, la semaine prochaine on va refaire ça ».

Pendant ce temps il y avait des gars qui faisaient l’aller-retour chez Tikaret. Ils ont dit là-bas que Dee Nasty mettait des disques au terrain vague, et des gens sont venus. Il y avait un gars qui s’appelait Dozer, peut être Sheek (des TCG), je crois même que cet après-midi là, il est arrivé avec Dee Nasty. Ces deux-là, quand ils parlaient, on ne savait pas ce qu’ils trafiquaient. Lui partait en beatbox, on l’arrêtait plus, et l’autre il scratchait sur le beatbox.

Sheek c’était un bon gars. Il savait trouver le tempo que je voulais, et c’est ça que j’aimais avec lui. Il ne cherchait pas à épater la galerie, et à ce moment-là je pouvais m’exprimer. Il faisait un beat où le gars peut rapper, je pouvais poser dessus. Il te mettait un tempo carré ou tu pouvais dire quelque chose. Ce n’était pas comme certains, qui faisaient surtout du bruit. Lui, avec les scratches de Dee Nasty, on faisait une équipe.

Un ou deux ans après je l’ai entendu rapper. Il rappait un peu vite car c’est Noël (des Nec Plus Ultra) qui lui avait montré le truc. Il savait écrire Noël, il lui avait fait un truc « Je Rap’ », c’était pas mal. Le côté artistique ne l’intéressait pas trop je crois. A l’époque le mot Hip-Hop regroupait des gens venus d’un peu partout, dès que la musique partait, il y avait une magie qui faisait que tu étais dans l’ambiance. Chaque moment tu le vivais. Les notes te traversaient le corps.

Les gens avaient l’habitude de dire Zulu, mais moi je rappais et je disais automatiquement Hip-Hop. Je ne me voyais pas dire Zulu. Je ne me sentais pas Zulu, je me sentais plus rock que Zulu. C’est même pour ça que dans un rap, dernièrement, j’ai dit « Hey, moi je ne suis pas comme les autres, je suis un roi du rock. Sur la piste de danse, j’ambiance les mauvaises langues…».

Le Hip-Hop est une culture du recyclage ?

Non, c’est une façon de s’exprimer ça. En fait le Hip-Hop contient plusieurs façons de s’exprimer que sont la danse, le chant ou le rap, le dessin avec les graffitis, et les vêtements aussi. Par exemple le coté fashion a changé beaucoup de comportement dans la vie de tous les jours. Avant on ne voyait pas de PDG sortir d’une limousine en baskets. C’est le Hip-Hop qui a créé ça, le jazz ne l’a pas fait.

C’est la misère qui a fait ça. Les jeunes ils n’ont pas grand-chose, mais avec le peu qu’ils ont, ils vont créer un petit quelque chose, que tout le monde va vouloir avoir.

Par exemple un gars va sortir de chez lui en pantalon. Son grand frère met ce même pantalon, et son petit frère aussi. Quand le petit porte le pantalon de son grand frère, il nage dedans. Il marche dans la rue et on croit que c’est la mode, mais en fait c’est juste son tour de le mettre dans la semaine. Et pourquoi ton pantalon il tombe et on voit ton caleçon ? C’est parce qu’en prison on te retire ta ceinture. Le gars sort et il ne fait pas attention qu’il a plus sa ceinture, donc ça descend. C’est la misère qui fait ça. Le gars il a pris un sample pourquoi ? Parce qu’il n’a pas les moyens de s’acheter l’instrument de musique pour jouer ce truc-là, donc il a samplé le truc. Tout ça vient de la misère. Ce n’est pas un gars qui s’est réveillé un matin et qui a dit « Hey, j’ai fait le Hip-Hop ». Le Hip-Hop existait déjà dans les années 50. Dans le Rock&Roll, ils attrapaient les filles par les hanches pour des acrobaties. The Hip (les hanches) to the Hop (les sauts).

Tu as écouté du funk quand c’est arrivé ?

On était obligé d’en écouter en boîte. Comme on était la génération ou le Rock&Roll commençait à décliner, on allait aussi dans des boîtes funk. Aux Adelphes (rue Sainte Anne) par exemple. Je n’aimais pas trop cette boite car je trouvais qu’il y avait trop de travestis dedans, mais il y avait de la bonne musique. Les mecs disaient que c’était funk. Un jour la boîte a diffusé la vidéo de Grandmaster Flash sur le mur. En voyant ça, je me suis dit « C’est des lascars comme nous ». Quand on a vu leurs têtes avec leurs coupes, et leur façon de s’habiller (en jeans), ils étaient comme nous. Ils chantaient presque comme nous, mais ce n’était pas rock. On a accroché direct. J’aimais bien cette sonorité. Ce n’était pas une boîte reconnue Hip-Hop. C’était une boîte ou ils passaient juste de la musique comme ça. Le DJ était un DJ funk, qui mettait des trucs tendances, comme Madonna, etc…

Mais moi le gars avec qui j’ai accroché dès le début dans le rap, que j’ai vraiment aimé, c’était Kurtis Blow. Run-DMC c’était pas mal, j’ai eu comme un coup de cœur. Mais Kurtis Blow je trouvais qu’il avait un phrasé, une façon de rentrer dans les morceaux. J’ai fait des morceaux là-dessus, je les ai samplés. Ils devaient sortir avec Barclay, et c’est un album qui n’est finalement pas sorti. C’est incroyable, c’est l’album que j’avais fait avec Destroy Man. Il y a une dizaine de morceaux qui sont perdus. Il y a même un gars qui a voulu les reprendre à un moment, et Barclay ne sait même pas où ils sont aujourd’hui…

Est-ce que tu as appris le solfège ?

Oui, j’ai appris le solfège, mais j’ai compris que moi c’était les textes. Après, des fois je me remets à la guitare, je joue un peu de piano. Mais chez nous, c’est un peu autodidacte. Mon père jouait de tous les instruments sans avoir fait de solfège. Quand je lui demandais s’il savait ce qu’était un « la » mineur ou majeur, il me répondait « C’est quoi ça ? ». Je ne l’avais jamais vu sur un piano, et le jour où il en a essayé un, il a dit « Ah ! C’est pas mal ! », et il s’est mis à jouer devant moi. Je ne sais pas comment il faisait ça.

Au foyer, ils m’ont mis chez un mec qui m’a appris le solfège et l’arpège avec la guitare, vers 10/11 ans. Mais après, dès que j’ai commencé à maîtriser la guitare, à reconnaitre les notes, rejouer des chansons, je me suis demandé pourquoi continuer d’aller le voir (en plus ce n’était pas à côté). Plus tard un miracle est arrivé dans l’école où ils m’ont mis. Un professeur avec une queue de cheval jouait dans les bals avec un groupe. Lui, je ne l’oublierai jamais. Il a ramené sa guitare, il me l’a passée et il m’a dit de jouer. Il a dit que c’était pas mal, mais que si je voulais bien maîtriser les bases, il fallait apprendre « Les jeux interdits ». Il m’a conseillé de bien bosser ça, et quand je saurais le faire entièrement il me montrerait d’autres choses. Je l’ai fait entièrement, donc il m’a demandé ce qui me plairait. J’ai répondu que j’aimais bien Django Reinhardt, parce que ça swing. A partir de là, avec ce professeur (qui était mon professeur de Français) j’ai vraiment commencé à progresser.

En conclusion quel objet te représente le plus ?

Tu vas être surpris, car l’objet en question c’est une guitare, une Gibson, la Jazz. Je l’avais dessiné sur mon cahier, mais apparemment je l’ai retirée…



Pour aller plus loin…


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