Dan De Tikaret

Tikaret, la boutique qui a accompagné l’émergence du mouvement. Retour avec Dan sur une époque mythique…

Peux-tu te présenter en retraçant brièvement ton parcours ?

Je m’appelle Dan de Tikaret, et j’ai créé en 1986 une boutique Hip-Hop sur une idée des B.B.C. (le groupe de graffiti). Quand je dis une idée, c’est que c’est eux qui m’ont demandé de ramener des ceintures permettant d’écrire ton tag. Ils ont insisté car à ce moment je ne voulais pas mélanger ma passion Hip-Hop, avec ma fonction de commerçant. Après je me suis dit bon, ça me faisait plaisir, et j’avais aussi envie d’avoir ma ceinture.

Quand les ceintures sont arrivées, il y avait des personnes qui passaient des commandes. Et un jour un mec vient comme ça un samedi, et il me dit « Je vais te prendre une ceinture ». Je lui demande sont nom pour qu’il récupère sa commande, et il me répond « Non, non, j’ai pas commandé ». Je lui dis alors que c’est pas grave, que j’ai de quoi lui en faire une.

Ça prenait du temps de faire une ceinture, entre dix minutes et un quart d’heure. Il fallait mettre les lettres une par une, etc… Après il n’y en avait pas dix à faire à la suite, ça se faisait au fil de la journée (cela dit, j’en ai tout de même fait plus de 300 par mois pendant deux ans à l’époque…).

Du coup, pendant que la ceinture est en fabrication, je discute avec lui et je demande « Comment ça se fait que tu sais que je fais les ceintures ? ». Il me dit qu’il a un pote qui l’a appelé, et qu’il lui a dit que je faisais des ceintures. Je lui demande alors d’où il vient, et il me répond « Bruxelles ».

Là, carrément, je me suis arrêté 5 minutes. Ça a fait vraiment un flash dans ma tête. J’ai dit « Mais attends, tu viens de Bruxelles pour les ceintures ? ». Il me répond « Oui, c’est moins loin que New York ».

Directement j’ai compris qu’il y avait un truc…

Donc j’ai fait les ceintures, et après, une fois que tu avais acheté ta ceinture, que tu venais plusieurs fois à la boutique, tu avais envie d’autre chose. Tu demandais « T’as pas des lacets, des tee-shirts ? ». Et c’est comme ça qu’une boutique de fringues de meufs s’est transformé en boutique Hip-Hop.

Au bout de 8 mois, j’ai appelé mon associée (Françoise Hautot), et j’ai dit « Bon, on laisse tomber, on fait que Hip-Hop ».

Donc c’était déjà une boutique de fringues ?

Oui, j’avais déjà une boutique, et j’étais connu du milieu Hip-Hop parce que je traînais au terrain vague, j’étais breaker.

Cette boutique je l’ai trouvée dans le Figaro immobilier à l’époque, et il n’y avait pas de reprise, contrairement à l’habitude, car c’était un café qui avait fermé par voie de justice. Donc il n’y avait pas d’antécédents de chiffre d’affaire, j’ai juste payé un loyer d’avance, comme pour un appartement. Sur le coup j’avais pas fait attention à l’adresse. Quand je suis arrivé devant la boutique, je me suis aperçu que c’était à deux pas du terrain vague, que je connaissais déjà. Dans ma tête je me suis dit que c’était bien car j’allais pouvoir aller au terrain après avoir fermé la boutique.

C’était situé en face du terrain vague ?

Le terrain est vraiment entre « La Chapelle » et « Stalingrad ». Tikaret était plus du coté Stalingrad. C’était à l’intersection de 3 arrondissements, le 19ème, le 18ème, et le 10ème.

Après au terrain vague, j’y allais pour prendre des graffitis en photo, et pour les parties de Dee Nasty. Et quand il pleuvait, ou quand ils voulaient se reposer, les B.B.C. venaient s’abriter à la boutique, et on discutait…

J’avais pas beaucoup de clientes, je vendais des vêtements de bonnes femmes, pas de jeunes filles. Elles avaient un peu peur de se déshabiller dans la boutique. Mais la boutique était pas faite pour ça, je vendais plutôt en gros. C’était un commerce qui marchait bien, j’avais pas forcément besoin de la clientèle du coin. Et les B.B.C., en traînant comme ça, ils m’ont dit « Vas-y, ramène les ceintures ».

Tu étais déjà DJ à cette époque ?

J’ai commencé à être DJ en 1980, à la montagne, à Val Thorens, quand la station était vraiment toute neuve. Après en 1982, il y a eu la vague Hip-Hop que j’ai bien aimé. Et je me suis remis aux platines quand j’ai fait une connexion avec Destroy Man et Johnny Go. Sinon, c’était que la boutique en 1986.

Crédit photo : Sonia Blin

Comment présenterais tu la boutique Tikaret à ceux (et celles) qui ne l’ont pas connu à cette époque ?

C’est facile de dire que c’était un endroit magique. Disons que c’est comme si aujourd’hui il n’existait qu’un seul endroit où on pourrait parler, écouter, et échanger sur la Trap musique. Il faut imaginer qu’à cette époque-là, il n’y avait qu’un seul endroit qui te permettait de faire des connexions avec le rap.

Un peu comme « La Place » ou le « 104 » ?

Oui, si on veut…

Le 104, je dirais trop rien parce qu’il n’avait pas vocation à ça à la base, en revanche, je suis super déçu par La Place. Au début je leur avais donné des conseils, je pensais que ça ressemblerait à Tikaret. Mais en fin de compte, ce n’est pas du tout comme Tikaret. C’est sélectif, c’est pas ouvert tout le temps, c’est payant (les studios), et pourtant c’est financé par les impôts, par la ville de Paris. Donc je ne comprends pas ça. Ce qu’il faut c’est que le gars d’Argenteuil, il puisse venir enregistrer aussi sans forcément connaître quelqu’un.

A Tikaret c’était ça. Si tu étais un inconnu, tu avais la même valeur que les autres. Par exemple les DJ Abdel, tout ça. Ils étaient comme ça, c’est après que les mecs ils ont fait carrière. Quand tu vois la vidéo de l’époque, avec Booba, c’est un petit gamin, quand on le voit il pèse pas lourd. On l’avait remarqué avec Moda, car on avait trouvé qu’il kickait pas comme les autres.

La Place, c’est ça que ça devrait être aujourd’hui.

Comment est venu le nom « Tikaret » ?

Je suis associé avec une femme (Françoise Hautot) qui est mariée à un antiquaire turc. Lors d’un voyage à Istanbul, elle voit le nom « Ticaret » sur une enseigne. Elle se demande ce que ça veut dire, et en fait ça signifie « petit commerce » en Turquie, comme SARL (société à responsabilité limitée) en France. Donc quand tu tapes « Ticaret » dans Google, faut que tu précises « Paris », sinon tu tombes sur un tas de liens vers des boutiques turques.

Dans « Ticaret » c’est un ‘c’, et du coup le ‘k’ de « Tikaret » est venu des graffeurs. C’était plus facile à faire. Je trouvais pas ça génial comme nom, mais les graffeurs (les B.B.C.) me disaient « Mais non, ça fait bien, ça fait même américain ». Du coup je l’ai gardé.

Avant, la boutique s’appelait « Le temps du swing », en référence aux années 50. Quand je l’ai découverte, il y avait un pochoir avec ce nom dessus.

Quel sont tes meilleurs souvenirs de Tikaret Stalingrad ?

Tu fais bien de préciser Stalingrad, car il y avait deux boutiques à l’époque, Stalingrad, et Châtelet.

C’est difficile de définir un bon souvenir, car il y en a eu plein, mais je peux t’en donner deux marquants.

Le premier: Il est 14h, et il y a une fille qui s’appelle Judith (qui donne des cours de chant aujourd’hui, mais qui était danseuse à l’époque) qui vient avec des amis des Aktuel à la boutique. On est en plein après-midi, on a une crise, je ferme la boutique, et à l’intérieur on fait une partie, on s’éclate. Ça les a marqués, ils ont dit « Mais il est dingue Daniel, il ferme la boutique pour qu’on danse et qu’on s’éclate ».

Le deuxième: C’est mon anniversaire. Je mange avec mon associée (Françoise Hautot) chez elle, et ensuite elle me ramène chez moi. Sur le chemin elle me dit qu’elle a oublié quelque chose à Tikaret. On arrive à la boutique, les lumières et le son s’allument, et tout le monde est là ! Il y a Moda, Johnny Go, et ce qui m’a touché le plus, il y a Joey Starr qui est dans la complicité du truc. Ça m’a montré une preuve d’humilité, et son amour et son respect envers moi. Ça m’a touché, car ils ont dû rester une demi-heure, ou une heure, dans la boutique en m’attendant pour la surprise. Il faut pas oublier qu’à l’époque il n’y avait pas de portables… pour communiquer ça marchait par téléphone de maison en maison.

D’ailleurs, le fait qu’à cette époque il n’y avait pas de portables, c’est aussi ce qui a contribué au succès de Tikaret.

Par exemple tous les deux aujourd’hui on s’est donné rendez-vous, et on s’est déjà appelé plusieurs fois. Normalement, à l’époque de Tikaret, on se serait appelé hier soir, et on se serait donné rendez vous à Tikaret. Comme ça, si l’un arrive en retard, on se verra, en attendant il y a toujours un truc intéressant à faire à la boutique. Plein de rendez-vous ont eu lieu à Tikaret, tu pouvais y faire des rencontres, partir dans d’autres trips, avec d’autres gens…

Que représente le vinyle pour toi ?

Alors moi je suis toujours en décalage. Je ne suis pas du tout un « save the vinyle ». Le vinyle a été très important pour moi, mais j’adhère aux nouvelles technologies, comme le Hip-Hop. Aujourd’hui les gens commencent un peu à accepter le contrôleur. J’ai vu un groupe de Trap, il y à 4 ans, à l’Olympia, et ils ont fait le concert avec un contrôleur. Le sampleur, c’était pas fait pour nous, et on s’est adapté. Le Hip-Hop, il prend les nouvelles technologies, et il en fait sa culture.

Crédit photo : Sonia Blin

As-tu encore une collection de vinyles ?

Oui, j’ai encore une collection de vinyles. Je kiffe les vinyles, tout ça. Mais tu vois, l’autre fois il y avait un mec (avec qui j’échange souvent sur Facebook) qui disait « save the vinyle ». Je lui ai répondu « Tu les as porté les vinyles toi ? Moi j’ai porté les bacs de Dee Nasty pour aller au terrain vague, et je peux te dire que mon dos s’en souvient! Donc tu peux dire « save the vinyle », ça a un poids! ».

De plus, j’ai connu le « Merde j’ai oublié le disque à la maison! ». Ce qui n’arrive plus maintenant. Souvent tu faisais ta playlist avec tes bacs, et tu pouvais pas tout avoir. Avec l’ordinateur, tu as l’avantage de tout avoir.

Alors aujourd’hui, moi je pratique les deux. J’adore le contrôleur, mais je reconnais qu’il y a quand même une sacrée différence, au niveau du toucher, du scratch, et du son. C’est pas la même chose. Le vinyle ça reste quand même le maître.

Quel est ton matériel à l’heure actuelle ?

Je suis en Reloop pour les platines, en Pioneer S9 (celle avec les pads) pour la table, et j’ai deux contrôleurs Pioneer.

En fait je me suis remis aux platines quand mon fils s’y est mis. Ça m’a redonné envie, et on reste Hip-Hop, on aime la compétition. Je me suis dis « Y’a pas moyen, il sera pas plus fort que moi ! ». C’est une bataille qu’on a encore tous les deux aujourd’hui. Un jour je lui ai dis « Tu sais, tu as le droit d’être plus fort que moi », il m’a fait « Tu en es sûr ? ». Et effectivement, ça commence à être chaud pour moi…

Disons que j’ai un petit avantage au niveau de la manipulation, mais au niveau des playlists il me met à l’amende (rires..).

Quel sont tes machines de prédilection pour la production ?

La MPC 2000 XL. Je bossais avant sur Atari, puis j’ai acheté un Ensoniq EPS 16+, et avec on a fait Moda et Dan s’ennuient.

D’ailleurs, j’ai une anecdote sur l’EPS. J’avais vraiment envie de faire du son. Je vais au magasin le matin, et je l’achète à crédit. Je vais à la maison, et j’arrive pas à le mettre en route. La journée passe, et j’arrive toujours pas à le mettre en marche. Je suis vraiment énervé, je me dis que je suis vraiment trop bête, j’ai acheté un truc super cher et je sais même pas m’en servir. Je suis dégoûté. Bref, je dors dessus, et comme on dit la nuit porte conseil. Le lendemain je me réveille, et je me dis « As-tu lu la notice ? ». Du coup je regarde, et je me rends compte qu’il faut mettre une disquette pour que ça démarre. Quand j’ai vu la disquette, et que ça s’allumait, c’était parti pour faire du son, et j’ai kiffé.

Aujourd’hui je serais un peu tenté de composer, j’aime bien la musique Trap, je trouve qu’elle est super compliquée à faire. Mais faire de la musique sans projet, c’est comme tourner en rond. J’ai arrêté de produire des sons parce que je n’avais pas d’artistes pour poser dessus.

Tu produirais encore des sons des années 90 ?

Non, je ne produirais plus ça. J’en ai fait des morceaux comme ça, j’en ai soupé. Tu fais une boucle, tu tapes un beat, tu mets une basse, ou tu assourdis, et c’est bon, tu as un truc à l’ancienne. J’aime davantage la difficulté. Pour la Trap, faut jouer avec les charleys, faire des variations, assourdir, ralentir. Pour moi, c’est une difficulté supplémentaire.

J’avais vu, il y a trois ou quatre ans, Metro Boomin, qui composait avec Fruity Loops. Je vois son morceau de Trap, et il y avait au moins 16 pistes différentes pour un son. Il l’avait décomposé, il y avait un violon assourdi (juste une note), après il y a un autre truc… c’était comme un puzzle.

Ça rappelle la manière de travailler de Public Enemy, non ?

Pete Rock il nous a appris plein de trucs, découper un sample de saxophone pour faire comme si le mec l’avait joué, et descendre dans le volume pour créer un écho, et faire venir le son répété crescendo. On composait tous entre nous. J’ai bossé avec Melopheelo (Les Sages Poètes de la rue), avec DJ Mehdi, qui m’a impressionné un jour. Ils font un son, je crois pour Ideal J, avec Kery James. Le son est fait, ils ont enregistré les voix, on a fait le mixage final, et on dit que c’est bon pour enregistrer le DAT. Au moment où on allait débuter le master, Mehdi fait « Non, non, attendez, je vais changer la basse ». Il change la basse en deux secondes, et il dit « C’est bon, on peut enregistrer ». Même pas de recul pour refuser, dans sa tête il savait que celle qu’il allait faire était mieux que celle qu’il y avait déjà.

Crédit photo : Sonia Blin

Quel est ta définition du Hip-Hop, ses valeurs ?

Pour moi c’est l’échange et la performance. Et l’échange c’est la première valeur. Tu te construis avec les claques que tu prends dans la gueule…et après t’en donnes à ton tour (rires…).

Ta passion a t-elle imprégné tes enfants ?

Oui. Mon fils aujourd’hui il a 26 ans. Il a mis du temps, mais il s’y est mis à 24 ans. Il voulait pas tout de suite à cause de la légende de son père. Il a été timide à ce niveau là, mais il est doué. Il sait bien faire, et il est pratiquant musicalement. J’ai des potes qui n’aiment pas la musique d’aujourd’hui, par contre quand c’est mon fils qui la met, ils aiment bien.

Ma fille, elle, c’est une consommatrice de rap français. Il n’y a pas beaucoup de choses d’aujourd’hui qu’elle ne connait pas. Je lui dit de faire DJ mais ça l’intéresse pas. C’est une auditrice, elle aime écouter.

C’est vrai qu’on oublie souvent les passionnés qui viennent simplement s’amuser et écouter. Mais sans les B-Boys de l’époque, il n’y aurait pas eu de Tikaret. Bien sûr que j’étais le chef du bateau, mais c’est tous ceux qui étaient là qui ont ramé. J’aurais été tout seul dans ma boutique, sans les clients, on en parlerait pas aujourd’hui. Et c’était pas de simples clients, ils avaient tous de la volonté, de la rage, c’était un tourbillon d’énergie.

Quelle est ta manière de mixer ?

Je me suis adapté. Je mixe beaucoup avec les effets, je joue avec les boucles, avec les pads. J’aime bien toute cette nouvelle technologie.

On a tous (nous les DJs) un petit défaut. Puisqu’on a Serato, on fait ses onglets, et on mixe au BPM (du plus lent au plus rapide). On a remarqué, avec mon fils, en bougeant à d’autres soirées, qu’en fait on a tous à peu près les mêmes mixes (au niveau des enchaînements). Par exemple après un Future, on enchaîne avec Migos… Souvent il y a des similitudes dans les playlists. C’est pas des idées qui sont prises, c’est qu’on travaille tous avec les même playlists, et qu’on mixe tous au tempo.

J’ai tendance aussi des fois, à mixer plus longtemps les deux sons ensemble. Alors que je pourrais faire à l’ancienne, avec juste un départ.

Un DJ avait dit qu’on est pas obligé de mixer temps sur temps. Avec des morceaux au même tempo. Faut arrêter d’être prisonnier de ça. On peut mixer un disque à 90 BPM, et ensuite en mettre un à 120. Faut juste faire une pirouette.

Avec mon fils, on traîne beaucoup avec DJ Chabin. Et du coup, on apprend à mixer long. Parce que franchement, on a trop tendance à mixer court. Il y a certains DJ qui ne font que des punchlines (un peu comme certains rappeurs). Ils mettent que les moments forts du disque, les uns après les autres. Chabin, il laisse tourner les disques. Il a même le temps d’aller aux toilettes, de fumer une clope, pour autant la piste de danse ne se vide pas. Les gens ont le temps de s’imprégner. Tu les fais pas forcément partir. La difficulté c’est de mettre le bon disque au bon moment.

Il y a encore un autre truc. Quand tu vas à New York, après un Migos, les DJs vont mettre un Billie Jean. Les gens vont kiffer ça, comme une nouveauté. Ici on ne comprend pas ça.

Je parlais avec un beatmaker l’autre fois, en réécoutant un son qu’il avait fait, et que mon fils avait kiffé. Je lui dis « Ce son-là que t’as fait, comment il est mortel ». Il répond que ce son est trop vieux, qu’il a quatre ans. Je lui ai alors dit « On écoute encore Bob Marley aujourd’hui ». Quand le son est bon, il passe le temps.

Une playlist à proposer ?

Je n’ai pas de recommandation spéciale, car celle que je vais donner, ce soir, demain, ou dans quelques jours, il y en aura une autre. J’écoute encore mes 50 disques par jours. Tous les jours, il n’y a pas de dimanche. Mais je vais quand même donner la suivante :

L’âge dans le Hip-Hop, c’est important pour toi ?

Non, et je vais en profiter pour te dire mon âge, 60 l’année prochaine. J’espère qu’on sera musical comme le jazz.

Aujourd’hui, j’ai vu un reportage sur la belle pianiste russe, une brune super mignonne. Elle présentait un violoniste qu’elle admire, et le mec on dirait qu’il a 90 ans. Pourtant ils travaillent ensemble. Donc dans la musique, il n’y a pas de question d’âge.

Et dans le Hip-Hop, il n’y a pas de « old school » ni de « new school ». Il y’en a qui sont pas encore nés, et qui vont être super Hip-Hop. Pour moi il n’y a pas de « Vous, vous avez pas connu à l’ancienne ». Faut juste se dire que vous avez eu la chance d’arriver quand le truc se construisait, mais ne vous la racontez pas plus.

C’est souvent les mêmes qui critiquent les mômes d’aujourd’hui. Mais attend, si vous étiez né en 1992, vous seriez comment aujourd’hui ? Vous seriez peut être comme eux, et pas forcément dans les bons. Ils sont nés dans un monde différent, avec des consoles de jeux, des ordinateurs, des smartphones… Mon fils avait un lecteur numérique quand il a commencé à écouter du son.

Aujourd’hui, au niveau de la Trap musique, ça c’est un peu calmé, les gens acceptent plus. Parce qu’ils arrêtaient pas de dire « Ouais, c’est quoi cette nouvelle génération, ils savent pas ce que c’est le rap à l’ancienne… ». Mais attend. Nous, dans les années 90, il n’y avait personne qui nous disait que la musique des années 50 était meilleure que celle qu’on faisait. Faut pas oublier que pour eux, les années 90 c’est nos années 50. Qu’ils connaissent, et qu’ils l’aiment déjà, estimez vous heureux.

Un mot sur les autres mouvements musicaux ?

Je suis pas fan de reggae dance hall, par contre je kiffe la house musique, le jazz, le jazz rock, la funk.

Même si je me suis ouvert, le Hip-Hop nous met quand même des œillères. Pendant un bon bout de temps, il n’y avait rien d’autre de bien pour moi. A l’époque des Cool Sessions c’était pas possible de me faire écouter autre chose que du Hip-Hop.

Il y a d’ailleurs une différence entre la nouvelle génération et la nôtre. Nous on kiffait le rap américain, et on tolérait le français. Eux c’est presque ils tolèrent le ricain, et ils kiffent tous plus le rap français. Ils veulent comprendre, et c’est logique.

Parle nous de l’arrivée des Double Goose, Carhartt, Puma, et autres… Qui a lancé ça ?

Les pochettes de disques, et les clips… tout simplement.

Quand j’allais à New York et que je demandais à acheter les Double Goose, ou les ceintures, les mecs me disaient « Paris c’est Dior, le luxe, et vous mettez ça ? Des vêtements de clochards, de voyous ? ».

Ici, on voit Foot Locker et McDonald’s comme ça. Mais aux États Unis, quand tu travailles, c’est avec des uniformes que les entreprises fournissent aux employés. Donc les fringues sont solides, genre Carhartt, car l’entreprise t’achète pas des fringues tous les 6 mois.

J’avais vu une interview sur les fringues dans le Hip-Hop, et Chuck D (de Public Enemy) faisait remarquer « Nous on s’habille en Raider parce que tout le monde peut se le payer ! ». C’est le peuple contre l’élite.

Pour Tikaret j’achetais chez un fournisseur. Les autres clients qu’il avait, c’était un anglais, sinon c’était que des mecs de Harlem, Brooklyn, ou du Bronx. On achetait tous chez le même grossiste. Ça mettait environ 15 jours pour arriver en France, le temps de les faire dédouaner, prendre l’avion, etc… Et les américains, ils achètent des vêtements chaque semaine (car ils ont leurs salaire chaque semaine). Les fringues, ils les achetaient chez les mêmes commerçants que moi. Et quand ils voulaient faire un clip, ils voulaient être raccord avec la rue. Il fallait porter les fringues que les mecs mettent dans la rue. Et tu trouvais les même fringues chez Tikaret. C’était en même temps. Ça c’est un coup de chance que j’ai eu.

Parle nous de la mode des names-plates, et des bagues à 3 doigts ?

C’était la bijouterie. Cette mode-là, c’était la même pour nous et les américains.

Les américains, avant même le Hip-Hop, ils ont le culte de mettre leur nom. Ils ont des bagues, des gourmettes, des chaînes (colliers), des ceintures… J’ai commencé par les ceintures à Tikaret.

Il y avait une nana qui s’appelait Anjuna, que j’ai connue aux Halles. Je lui ai proposé de vendre ses bijoux à la boutique. Elle a galéré, mais au bout d’un an, elle faisait la même chose qu’aux states, aussi bien. C’était la période de la boutique à Châtelet.

Quelles étaient tes relations avec Homecore ?

Je connaissais Steph. Mes relations étaient lointaines, et neutres. C’est à dire ni amicales, ni ennemies. Eux ont été créateurs de produits, d’une manière très forte, alors que nous ont était seulement revendeurs. Leurs fringues, ça sentait le Hip-Hop. Leur meilleur coup, c’était Lady Soul. Ils ont cartonné avec les fringues pour meufs. Ils avaient fait une doudoune pour les meufs avec la petite fille dessinée par Mode 2. Cette doudoune ils l’ont inventée, et elle a été copiée partout après.

Avais-tu une clientèle féminine dans le magasin ?

Oui, à partir des années 90/92. En fait les mecs au début ils ne pensaient qu’à graffer, tout ça. Après ils ont grandi, ils ont commencé à avoir des meufs, et ils venaient avec à la boutique. Elles ont dit « Mais nous on aime bien MC Lyte, Salt-N-Pepa. On est des Fly Girls nous aussi ! ». Elles voulaient s’habiller stylé, avoir de belles baskets, des chapeaux, des boucles d’oreilles. C’est les filles qui m’ont demandé de la bijouterie.

En fait, j’ai pas inventé grand chose, à part quelques tee-shirts que j’ai créé moi même. J’ai juste écouté et suivi les demandes de la clientèle. Après c’était à moi de me débrouiller pour ramener ce que les gens voulaient. C’était pas toujours facile. Par exemple pour les ceintures il y a eu 2 voyages avortés à New York avant de les ramener.

Mon associée est partie en repérage, elle est revenue en disant qu’elle avait vu les ceintures, mais qu’elle ne savait pas où était le grossiste. Elle y est retournée une deuxième fois, sans succès. Et la troisième fois, elle est allé voir un de ses pote bijoutier a qui elle a dit « Faut que tu me trouves ça !». Donc lui il a pris la tête à un fournisseur, qui a été voir un asiatique, qui lui a indiqué où les trouver. Après ça c’était encore un vrai casse tête. Il fallait déjà acheter les plaques (les deux, trois, quatre et cinq lettres), ensuite il y avait l’alphabet (en or, en argent, etc…). C’était pas évident, on a mis une semaine avant de savoir quoi ramener.

Troop ou Fila ?

Alors moi, c’est Nike et Puma.

Bien sûr Troop je les ai vendues, et la Fila en daim aussi. Mais ce qui nous à suivi tout le temps, jusqu’à aujourd’hui, c’est la Puma. Et Nike ils ont pas arrêter aussi, avec la Jordan par exemple.

Après il y a Adidas aussi qui a des bons modèles, avec la mode lancée par Run DMC. C’est un accessoire de mode même maintenant. Ma fille, elle en a au moins 3 paires (rires…).

Quel style de danse pratiquais tu ?

Le break. Je préférais par terre que debout. Je trouvais ça plus glorifiant, et plus méritant de faire du break plutôt que du smurf.

Debout, il y en avait qui étaient performant, fallait inventer. Alors que l’autre style, fallait juste arriver à faire ce qui existait déjà.

J’étais plutôt dans le pass-pass, et j’ai eu du mal à passer la coupole. Mais j’ai réussi à l’avoir. La coupole c’est le BEPC de la danse Hip-Hop. Je l’ai passée au début en forçant. Je m’entrainais avec Xavier des Aktuel Force. Eux en 1 mois c’était réglé. Moi, j’ai mis 6 mois à l’avoir, en m’entraînant tous les samedis.

Je l’ai passée en forçant. En me donnant des coups sur la tête. Je pensais qu’il fallait rouler au plus vite pour passer de l’autre coté. Jusqu’au jour où j’ai compris qu’il fallait donner un bon coup d’épaule pour passer. Il y a un coup à prendre.

Aujourd’hui je ne danse plus. Je n’ai plus de souffle. Je ne supporte plus l’exécution rapide des pass-pass. Je ne fais plus les mouvements avec fluidité, donc j’ai arrêté.

As-tu une anecdote sur le Uprock ?

Je n’en vois qu’une. Le Uprock c’est surtout les deux frères, Vincent Cassel et Squat, qui nous impressionnaient parce qu’ils maitrisaient ça bien.

Solo a rebondi là-dessus dans une interview sur ce sujet, en disant « Ils étaient forts parce que c’est moi qui leur ai appris tous les pas ».

C’était de la danse de combat. Pendant un ou deux ans, ça a vraiment été un jeu. Mais il fallait être performant. Il n’y en avait pas beaucoup qui étaient assez fort pour faire ça.

Un objet qui te représente ?

La ceinture.

Le mot de la fin ?

Passion. C’est ça qui nous réunit. Tu vois, on s’est contacté, on a calé un rendez-vous, chacun de nous est venu, et il n’y a personne qui est payé. C’est que du plaisir, pour ensuite partager aux autres.



Pour aller plus loin…


Retrouvez l’interview en audio ici :