Assassin en Solo

Toujours présent dans le Hip-Hop après presque 30 ans de terrain. Solo, figure du Rap Français, et désormais aux platines, partage avec nous sa passion pour ce mouvement.

Bonjour Solo Aka Bboy Madness. Depuis quand es-tu dans la culture Hip-Hop ?

Depuis 1982.

Peux-tu brièvement nous faire un petit récapitulatif de ton parcours artistique ?

J’ai commencé par la danse, le Smurf comme on appelait ça à l’époque. Très vite je me suis mis au Break Dance. Fin 1983, j’ai intégré les « Paris City Breakers ». La sœur de Scalp, un des P.C.B, étant la petite amie de Sydney à l’époque, nous nous sommes vus catapultés jury du concours de danse de l’émission culte « H.I.P H.O.P » sur TF1, en 1984. Par la suite j’ai fait du mannequinat (Benetton, Levis, Yohji Yamamoto, Jean-Paul Gaultier, Chevignon) avant de me mettre à produire de la musique, et fonder Assassin en 1987. Groupe que j’ai quitté en 1994. Je me suis alors concentré sur la production, pour des artistes comme NTM, Princesse Erika, Les Ritas Mitsouko ou POLO, un rappeur de mon entourage à l’époque. Après ça, nous avons mis sur pied, avec Mathieu Kassovitz, la compilation inspirée du film La Haine. Pour finir, au début des années 2000, je me suis rapproché du cinéma et j’ai co-écrit, avec David Tessier, le court-métrage « La Chepor », avec Disiz comme premier rôle. J’ai depuis tenu quelques petits rôles dans des films comme Babylon A.D de Mathieu Kassovitz avec Vin Diesel, ou mon Mon pote de Marc Esposito avec Benoît Magimel… Voila, pour essayer de faire court…

Tu es Dj à l’heure actuelle, depuis combien de temps tu collectionnes et mixes ?

J’ai acheté mon premier disque à 11 ans « Queen / We Will Rock You » et je n’ai arrêté que vers 2010, question de moyens et de place au final… J’ai commencé à mixer sérieusement vers 1987, et fait mes premiers sets en club au « Palace » en 1988 (pour ça, merci au photographe Jean Lagrèze).

Crédit photo : Sonia Blin

Tes préférences musicales ? De bons disques à nous recommander ? Un coup de cœur ?

Mes goûts sont trop éclectiques pour parler de préférences musicales. J’aime la musique en générale, même s’il y a des styles qui me sont totalement étrangers… Trop de disques à recommander, donc on va taper large, et dans ce que je considère être des classiques:

La compilation « TOXIC« , sous l’impulsion de, et en collaboration avec mon camarade Uncle O, synthétise l’éventail de mes goûts.

Quel est ton regard sur l’évolution de la culture Hip-Hop à ce jour, notamment la musique et la danse ?

La musique (rap) me déçoit. On est rentré dans la stéréotypie. 95% des morceaux se ressemblent, sont produits de la même manière, avec les mêmes sons. Tout le monde rap avec quasiment le même flow, de l’auto-tune à toute les sauces. Bref, pour la majorité, l’originalité s’est perdue au fil du temps, et c’est bien dommage.

La danse, c’est juste incroyable comment le truc a évolué, et en bien. La démocratisation n’a pas hyper dénaturé les diverses disciplines. Le seul bémol c’est la récupération institutionnelle, le cadrage par des diplômes d’état, etc… Ça me fait penser au bridage des chevaux sauvages pour en faire des animaux domestiques. Rien que ça, ça me soûle…

Sens-tu que tes origines sont présentes dans ton art ?

C’est évident que oui, puisque mes origines faisant tellement partie intégrante de ma personne, que je le veuille ou non, ça va transpirer dans mon art. De par la manière dont j’ai été élevé, et aussi de par les chocs culturels auxquels j’ai été confrontés. Les origines de mes parents, et moi la réalité à laquelle je suis confronté, c’est ce qui fait qui je suis. Je peux pas nier que j’ai des origines africaines. Je suis né à Paris, mais mes parents sont originaires du Mali. Mes grands-parents, toute ma famille, des deux côtés, est originaire du Mali.

En tant que DJ, pourquoi le choix du mix CD, plutôt que vinyle ? Utilises-tu Serato ?

Alors, je n’utilise pas Serato. J’aurais pu utiliser Traktor, mais j’ai pas persévéré là-dedans, dans ce truc-là. Parce que, pour moi, il y a quelque chose d’un peu lourd dans le fait de devoir venir avec son ordinateur, et toute l’installation. Alors qu’avec la platine CD, je viens avec une clé USB, je mets les sons dedans, et je mets la clé dans la platine Pioneer, et tout est déjà réglé. J’ai déjà tout vérifié chez moi, les sons sont analysés et corrigés par rekordbox.

Du mp3, du wav ?

Niveau type de fichier, c’est parfois du wav, mais du mp3 majoritairement. Je vais beaucoup plus à la pêche de la musique par le net maintenant. Alors il y a une différence de qualité, mais vu le genre de systèmes sur lesquels les fichiers sont joués… Si tout le monde jouait sur des supers systèmes, je ferai davantage attention à ne jouer que des wav, mais quand tu joues dans les bars et dans des clubs, les systèmes sont pas des trucs de dingue.

Solo au Wanderlust (Paris) le 17/05/2019 (Crédit photo : King Siroko)

Le son est souvent assez sale ?

Non mais attends, qui fait la différence ? Que quelqu’un vienne me dire « Ouais ton fichier, euh…!? ».

Par contre, moi, j’entends la différence de qualité quand j’écoute ce que les autres jouent. Quand un mec prend des fichiers mp3, et te joue différentes qualités (96, 120, 192, ou 320 kbps), je vois s’il fait attention. Je suis là à écouter, et parfois je pense « Bon attends mec, t’es sérieux là ou quoi ? Tu as trouvé le son que comme ça, et ce truc-là tu le sur-kiffes, passons… Mais quand tu en passes 10 comme ça dans la soirée, c’est pas que tu es un fainéant, c’est genre: Oublie tout de suite, c’est pas possible! ».

Te sers-tu parfois quand même de vinyles ?

Chez moi, j’ai plus de vinyles, mais je reste un collectionneur de vinyles. J’ai eu des périodes, au moins 10/15 années, où j’ai passé tout mon temps à acheter beaucoup de vinyles. Aujourd’hui j’en achète beaucoup moins, voire plus du tout.

Par contre, j’ai un ami anonyme qui m’en offre, et je l’en remercie carrément. C’est un trader du vinyle qui récupère des très très gros volumes. Le mec c’est un amoureux du vinyle, comme moi. Je reste dans le truc.

Après, il faut reconnaître qu’on est en 2019. Me balader avec 20 kilos de disques comme certains anciens, non. Moi je vis avec mon temps. Après, il y a des puristes qui disent que « gnagnaga », ça leur appartient de penser comme ça. Je n’ai rien contre le fait que ça leur déplaise, mais moi, non! C’est leur choix, donc ma petite clé USB, elle me va très bien.

A l’heure actuelle, après différentes périodes (danseur, rappeur), on peut dire que tu es devenu DJ ?

Non, non, c’est pas on peut dire que je suis devenu ceci ou cela… Moi, partout ou ça le fait, je suis…

Si demain, le truc super méga Hip-Hop, c’est de sauter dans des flaques d’eau, tu risques de me retrouver à sauter dans des flaques d’eau. Tu vois ce que je veux dire ?

Tu pourrais revenir à n’importe quelle forme d’art ?

Oui, si je le sens à ce moment-là.

Pour toi, c’est quoi le Hip-hop ?

Premièrement, sans le Hip-Hop, je ne serais pas qui je suis. C’est ce qui m’a permis d’avoir une identité, que j’ai pu me construire en tant qu’être humain. Pas une identité qui m’a été donnée. Deuxièmement, la représentation que c’est pour moi, je la schématisai. Ce serait par le fait d’être dans une forme d’art, un mouvement culturel, qui me permet d’être dans un réel échange avec la communauté. C’est ça qui fait que je me sens Hip-Hop. A partir du moment où je fais un retour à la communauté, je suis Hip-Hop.

Crédit photo : Sonia Blin

Un esprit collectif ?

Pas juste un esprit collectif, mais surtout cette notion de retour. Le truc de la définition Hip-Hop, que j’ai lu quelque part, ce serait « Je me construis, je fais quelque chose, et le bénéfice que j’ai, c’est quelque chose que je redonne à la communauté, et sans qu’on s’en rende compte ». C’est vraiment ça le truc.

Finalement on donne si on a, et si on en a envie ?

C’est dans l’échange que ça devient un don. C’est pas le fait que toi tu décides que tu donnes.

Exemple: L’artiste graffiti qui se met à faire des masterpieces, ou qui décide de tagguer. On peut voir ça côté vandale, mais on peut aussi voir cet autre côté, en montrant (même indirectement) son art, en montrant au reste qu’il existe en tant que personne. Il insuffle une inspiration à d’autres. Donc le fait que lui existe, en tant que personne, les autres aussi peuvent exister en tant que personnes. C’est un retour, et ça te rend Hip-Hop de fait. Tu peux être dans le culte de la personne, ou de ta personne, moi, moi, moi… à partir du moment où il y a un aspect positif, qui devient quelque chose de positif pour autrui, autre que ta personne, c’est Hip-Hop.

Ça évite d’être juste dans un jugement du type: moi, l’autre.

Te sens-tu esclave de la société ?

Qu’on le veuille ou non, on a beau se croire libre, la société, le système dans lequel on vit, bien sûr qu’on en est esclave.

Se raconter autre chose, c’est se mentir à soi-même. Si tu regardes vraiment, dans le fond, c’est ce que je pense. La liberté, a priori, n’existe pas. Mais quoiqu’il en soit, c’est un joli concept la liberté, mais vu la manière qu’on a de la vivre, c’est très difficile à mettre en action.

Te sens-tu prisonnier d’une case ?

Non, j’ai tout fait pour que ça ne soit pas le cas. Pour me définir, ça devient assez complexe, par rapport à mes activités multiples. Ce sont les gens qui ont cette image. Les gens ont besoin de te mettre dans des cases, et quand ils ne savent pas, ils sont embêtés.

Te sens-tu artiste ?

Pas du tout. Pourquoi me poser cette question? Non, pour être tout à fait honnête, moi, je suis plutôt dans la jardinerie. Je suis vraiment un grand spécialiste des potagers urbains (rires)… Pour moi, tous ces trucs-là, ça veut pas dire grand chose. Si on m’avait dit, quand j’ai commencé à danser, que c’était un truc d’artiste, franchement, j’en avais rien à battre de la définition. Je me suis dit voilà ce truc me parle, c’est un truc que je sens, qui me caractérise, ben, vas y! Je le fais.

Solo et une œuvre du graffeur Kay One, Porte Montmartre (Paris) le 17/05/2019 (Crédit photo : Sonia Blin)

Quelle question aimerais-tu qu’on te pose ?

Vu que je me connais, je ne vois pas la question que je voudrais qu’on me pose. Je crois que c’est la question qui devrait amener à la question, tu vois ce que je veux dire? Le truc absurde…

Un mot sur l’actualité ?

Oui, je suis dans l’observation par rapport aux gilets jaunes.

Au départ je prenais ça limite pour de la fumisterie. Je pensais « Il y a eu les présidentielles, avec un peu moins de 40% de la population qui s’est exprimée. Un mec a été élu. Et tout à coup, vous êtes en train de vous énerver par ce que celui-ci fait des trucs… Mais le moment où on vous a donné la possibilité de dire : Non ce mec-là on n’en veut pas! Vous faisiez quoi ? ».

Moi au moment des élections, même si je ne trouve pas ça la chose la plus intelligente, j’ai voté. Bon, je me rends compte que je me suis fait niquer. D’accord, j’accepte, on peut se tromper.

Après ça, je lis un article qui dit que c’est la classe moyenne qui rentre en politique. Et là, je bascule plutôt dans un mode « voyons, regardez ». Maintenant je suis très curieux de voir ce qu’ils vont faire, ce que ça va devenir.

Donc tu es plutôt aux platines ?

Je suis partout frère.

C’est quoi un DJ selon toi ? Te frottes-tu au turntablism ?

Non, je ne fais pas de turntablism, laissons chacun à sa place. J’ai certaines facilités au blending, et pour le mix (enchaîner deux disques assez proprement). Je scratch, mais de façon très rudimentaire. On ne peut pas parler de scratch, mais plutôt de bruits, c’est moi qui le dit (rires)

Un bon DJ, un vrai DJ, c’est quelqu’un qui est capable de s’adapter à l’audience (s’il le souhaite) qu’il a en face de lui. Il doit également avoir un minimum de connaissance de la musique, et pas que son style de prédilection. Il doit être le mec qui a cette capacité d’ambiancer les gens, les lieux. Un bon DJ va savoir prendre des risques et surprendre, interagir avec son audience.

Après, c’est ce que tu mets en place, comment les gens le perçoivent. Ce que tu dégages, comment tu arrives à faire monter la sauce. Et ça, c’est vrai que c’est un art. C’est le DJ qui fait ça.

En anglais, ils appellent le DJ « The life of the party ». Il sait quel disque mettre, à quel moment, et l’enchaîner avec quoi pour être certain que ça va exciter les gens. Il sait aussi à quel moment calmer son public. C’est un truc d’interactions.

Passes-tu des classiques Hip-Hop dans certaines soirées ?

De nos jours, on parle surtout des 90’s en tant que classiques. On parle pas des années 80. Tu joues un morceau de cette époque, et il y a des gens qui vont être là à te dire: « C’est cool la Funk, ouais, mais tu peux pas mettre un truc qui bouge ? ». Souvent, ce qui se passe, je regarde quelqu’un en train de s’éclater, et je dis à celui (ou celle) qui kiffe pas: « Ça te parles pas, mais t’es pas tout seul. Lui ça lui parle ». Je me fis à la majorité. Je vais m’occuper des gens qui s’éclatent, et pas des gens qui se plaignent.

Quel sont tes projets à l’heure actuelle ?

Top secret. Joker.

Quel est la dernière sortie de disque qui t’as marqué ?

La sortie de « Funkadelic Parliament » signalée par Uncle O mon mentor. Le gars est là.



Pour aller plus loin…


Retrouvez l’interview en audio ici :