Carlos en Sens Unik

Rappeur, producteur, et acteur, Carlos Leal se remémore avec nous l’époque de Sens Unik, groupe dont il est l’un des fondateurs. Hip-Hop d’hier et d’aujourd’hui, vu coté Suisse.

Quel est pour toi la période la plus créative du mouvement Hip-Hop ?

Je pense que toutes les époques de la culture Hip-Hop sont créatives. Je ne veux pas faire partie de ceux qui disent “le rap c’était mieux avant”, ce n’est pas vrai. Le rap bouge, et la culture Hip-Hop aussi, heureusement d’ailleurs.

Par contre, avoir vécu la culture Hip-Hop à sa naissance, c’est un vrai cadeau de la vie. Nous étions peu, nous croyions en une culture positive et un mouvement qui rallie les gens. Nous nous sommes battus pour cette culture et la force que nous y avons mis a semé tellement de graines que le mouvement Hip-Hop est certainement l’un des plus grands mouvements artistiques de ces deux derniers siècles.

La culture Hip-Hop aujourd’hui n’est plus du tout une culture Underground, par contre ses disciples restent souvent dans l’ombre de l’Underground. Ce qui m’attriste le plus, c’est la place que la bêtise a pris dans le contenu des textes de rap. Mais cela semble inévitable, et je suis sûr que d’autres mouvements culturels viendront avec de bonnes intentions, et seront à leur tour récupérés par les lois du marché.

Te sens-tu prisonnier d’une case ou d’une étiquette ?

Plus du tout! Pour dire la vérité, bien que le Hip-Hop ait été pour moi un grand frère, et mon meilleur professeur.

Il fût un temps où je me suis aussi senti enfermé dans un costume. Lorsque le succès de Sens Unik faisait de moi un porte-parole “fils d’immigré” et contestataire. Bien sûr, j’étais tout cela, mais je ne voulais pas permettre à la société de me coller cette étiquette sur le dos. C’est cela qui m’a dirigé vers ma carrière de comédien, et vers d’autres intérêts artistiques.

Qu’est-ce que tu aimerais que l’on te pose comme question ?

Euuuuuh, mmmmmh… « Qu’est-ce que tu aimerais qu’on te pose comme question? »

L’âge dans le Hip-Hop est-il important ?

Oui, je pense que ça l’est. Bien sûr, les grands du rap seront toujours présents. Pour la France, je pense à IAM, NTM, Solaar, et quelques autres incontournables.

Mais la brûlure que le rap porte en soi est une brûlure qui appartient à la jeunesse. C’est cette flamme que les jeunes qui veulent changer le monde portent en eux.

À 49 ans, je ne suis plus tellement disposé à changer le monde. En tous cas, pas au sens propre. Par contre, changer qui je suis, et donner une éducation exemplaire à mes enfants est ma façon à moi de changer le monde. Et je pense que tout disciple de la culture Hip-Hop de ma génération partage peut-être cet avis.

Te sens-tu reconnu par la génération de rappeurs actuels (en Suisse ou en France) ?

Je suis surpris de voir à quel point les jeunes générations s’intéressent aux prémices de la culture. Je sais qu’en Suisse, les gens connaissent Sens Unik, et reconnaissent notre parcours.

Je suis un peu déçu de constater une fois de plus le chauvinisme de la France, et son entêtement à ignorer la musique francophone qui ne vient pas de l’hexagone. Sens Unik et Unik Records ont pourtant été une étape importante du rap Français.

Je sais aussi que le rap Suisse ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui, ça me rassure.

Comment trouves-tu ton équilibre entre vie professionnelle et personnelle ?

Je suis passionné par mon métier d’acteur, et ma présence dans de plus en plus de projets internationaux m’apporte un équilibre.

Mais j’ai une famille à maintenir, et mon égo s’est déplacé de mon nombril, à celui de mes deux enfants. Donc j’essaie surtout de penser à leur équilibre.

Carlos Leal à Zurich en 2019 (Crédit photo : Amanda Nicolic)

Que veux-tu transmettre dans (ou à travers) ton art ?

J’aimerais pouvoir jouer dans des films qui changent la perspective de notre monde… Pas facile.

Les grands auteurs de films d’art et d’essai ne sont pas nombreux à Hollywood, et le nombre de films “inutiles” qu’Hollywood produit est impressionnant.

Mais je tente de me faire une place dans le milieu du cinéma indépendant, et dernièrement j’ai quand même eu la chance de jouer avec des grands tels qu’Al Pacino, Willem Dafoe, ou Ben Affleck. La route est longue mais le parcours tellement inspirant.

Le Hip-Hop est-il toujours présent dans ta vie ? Si oui, sous quelle forme (ou de quelle manière) ?

Le Hip-Hop est présent dans ma vie sous deux formes.

La première est “Le Juice” (la rage). Cette énergie que le Hip-Hop m’a inculqué alors que je n’avais même pas 14 ans. Aujourd’hui, cette énergie je l’utilise pour d’autres objectifs.

La deuxième forme est mon fils Elvis. Il surkiffe le rap, et me demande sans cesse de caler ma radio sur « Power 106 » (radio 100% Hip-Hop de Los Angeles). Je n’aime bien sûr pas tout ce que j’entends, mais je suis ravi de découvrir les nouveaux talents et les nouvelles tendances.

Quel est ton rapport à la spontanéité et à l’improvisation ?

Je n’ai pas été un grand « freestyler » à l’époque du rap, bien que je me sois amusé à improviser pas mal dans les années 90.

Par contre, si tu me mets devant une caméra, j’adore improviser en tant qu’acteur. Retrouver cette liberté dans le jeu, c’est sublime et inimitable.

Quels sont les disques dont tu es le plus fier dans ta/votre discographie ?

Mon album préféré c’est Chromatic, album concept de A à Z. Mes titres préférés sont “Est que tu sens le vent” (sur la B.O. inspirée du film « La Haine » de Mathieu Kassovitz), et “Neutre” (B.O. du film « Neutre » de Xavier Ruiz).

Une anecdote par rapport aux rencontres liées à vos projets discographiques ?

La première K7 démo apportée à la boutique Tikaret à Paris en 1990. Mon DJ Just One a mis la cassette dans le ghetto blaster de la boutique, et tout le monde s’est retourné en demandant si c’était des rappeurs français vivants à New York. Just les a regardé en se marrant, et leur a dit “non, ça c’est du rap venu du pays des fromages, vos voisins les suisses”. Dee Nasty était dans la boutique, et ce fut le début d’une longue et belle histoire.

Ton évolution, le présent dans la création ? Un nouveau disque ?

J’ai fait un album solo, il y a 3 ans, sous le nom de « Leal ». Un mélange d’électro et de textes rappés ou récités. Un projet que je voulais faire depuis longtemps. L’album s’appelle « Reflections », et le titre phare (avec un clip bien barré) s’intitule “Disco Ball”. Je travaille actuellement sur un 6 titres du même genre. Mais ma carrière d’acteur est ma priorité numéro 1, et je suis sur des projets de séries télé US assez intéressants.

Ta définition de Hip-hop ? Es-tu un artiste engagé ?

Ma définition du Hip-Hop c’est “Grandir”. Je fus un artiste engagé, je le suis moins en tant qu’acteur. Mais si je peux faire des choix engagés, plutôt que populaires ou stupides, je prendrai définitivement la voie de l’engagement…

Un Retour au Vinyle, à la K7, ton point de vue ?

J’aime le vinyle. Il porte en soi de la chaleur organique. Mais j’aime aussi l’évolution technologique, donc revenir à la prise de tête de démêler les bandes des K7, non merci. Je sais que c’est trendy, mais le trendy je m’en fous un peu.


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